Un scaphandrier qui promenait des mouches mortes, au fond de bouteilles vides était venu à Londres, il y a seize ans, expliquer le surréalisme aux Anglais. Il s’appelait Salvador Dali.
Mayfair et Chelsea le consacrèrent parce qu’il était exciting and extravagant et rejoignait sans le vouloir les traditions d’excentricité du gentleman. C’était l’époque où l’Angleterre mangeait du roastbeef dans les manoirs ombreux du Surrey et croyait aux duchesses du continent.
Dali est revenu sans scaphandre se plonger dans l’Angleterre post-travailliste des courses de lévriers et des camps de vacances à prix unique. Il porte une moustache d’écuyer, une chemise nid d’abeille, un manteau noir pincé à la taille et tient une badine à la main. Il s’est fait une silhouette du temps d’Edouard VII pour présenter aux Anglais démocratisés de 1951 ce qu’ils considèrent avec effroi comme le Hiroshima de la peinture : des crânes éclatés où germe l’épi de blé, une madone atomisée découpée en rondelles, un Christ suspendu sur une mer d’aquarium, un univers, en somme, fidèlement à l’image de celui où nous vivons…
Aux 150 invités — altesses découronnées, ambassadeurs, écrivains — qui se pressaient à son vernissage, dans une petite galerie de Mayfair, Dali a expliqué que l’âge atomique serait celui d’une véritable renaissance et qu’il se faisait, lui, le prophète de cette renaissance en réconciliant dans ses tableaux la précision scientifique et l’espoir mystique. Mais personne en Angleterre, à l’exception de lady Mountbatten (dont il a fait un magnifique portrait), n’est vraiment sensible au monde de Dali.
Lady Mountbatten, par Salvador Dali
Ce que les critiques anglais lui ont reproché le plus souvent — non sans quelque paradoxe — c’est de « manquer d’originalité ».
Ils venaient à Dali en snobs, disposés à la rigueur à admettre les extravagances surréalistes, mais refusant par avance de prendre au sérieux un peintre auquel ils reprochent, comme à Picasso, d’avoir fait fortune. Car le préjugé tient encore, et solidement, dans ce pays, que le génie va de pair avec la pauvreté. Ajoutez à cela que Dali vient de découvrir, à Madrid, l’universalité du catholicisme romain et qu’il prétend ramener Picasso, en lui envoyant des télégrammes lyriques, dans le giron de la chrétienté hispanique et franquiste. Mais les Anglais, gens rêveurs et contemplatifs, sont à l’opposé de cette trop parfaite géométrie qui se perpétue dans la nouvelle manière de Dali : ils aiment les paysages brouillés, à la Claude Monet, à la Turner, la peinture impressionniste et sentimentale, et, mis en présence d’un monde aux arêtes trop visibles, ils disent : « Ce n’est pas de la peinture, c’est de la photographie en couleurs. » Un tel jugement, quand il s’agit de Salvador Dali, est profondément erroné, cela va de soi. Il est d’autant plus surprenant quand on songe que le peintre anglais le plus apprécié est le directeur de la Royal Academy, Sir Alfred Munnings, dont les « chevaux grandeur nature » sont à pleurer de tristesse et d’exactitude.
Salvador Dali a quitté Londres sur un mot assez amer :
— Ces gens-là, m’a-t-il dit, n’auront jamais le sens mystique…
0 commentaires